tete org sens0081Les poissons "électriques" sont-ils dangereux pour l'homme ?
Ce sont des poissons étonnants, capables d'allumer des lampes. Les poissons dits "électriques" sont des espèces curieuses qui, dans les aquariums publics, attirent souvent le visiteur. Mais sont-ils vraiment aussi inoffensifs qu'on veut bien le dire pour l'homme ? Robert Allgayer lance une alerte !

L’anguille électrique (ou anguille tremblante) ainsi que les silures électriques produisent de l’électricité en continu et par décharge. Cette dernière forme d’énergie est potentiellement dangereuse, notamment pour l’homme.

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Electrophorus electricus 5636Electrophorus electricus
L’anguille électrique vit dans les eaux calmes et boueuses d’Amérique du Sud, fréquemment trouvée dans des plaines inondées et des ruisseaux, mais est aussi dans les biotopes favorables existants. Les jeunes se nourrissent d'invertébrés, les adultes se nourrissent de poissons et de petits mammifères.
L'organe électrique de cette espèce consiste en électrocytes aplanis en des centaines de milliers de connexions en série.
Le poisson produit deux types de décharges à partir d'organes électriques différents d’origine myogénique : une basse tension d’environ 10 volts émise par l'organe de Sach et Hunter à une fréquence de 25 Hz et une haute tension émise avec une fréquence de plusieurs centaines d'Hz.
La basse tension a été associée à une électrolocation tandis que la haute tension a été notée pendant des attaques prédatrices. La haute tension peut atteindre entre 500 Electrophorus electricus 0083 copieelectricus juvet 700 V. et une intensité de 2,5 A. enregistrés sur des spécimens de 1 à 2,5 m. L’espèce possède aussi des récepteurs tubéreux sensibles à des hautes fréquences, distribués de manière inégale sur le corps et qui semblent utiles pour chasser d'autres gymnotiformes.
C’est une espèce nocturne. Des spécimens captifs ont montré que la basse tension est, comparée au jour, plus élevée pendant l’activité nocturne. Ce cycle semble être parfaitement et librement contrôlé.
L’espèce prend de l’air dans sa bouche et par sa muqueuse buccale parvient à survivre dans des eaux peu oxygénées.
Les mâles construisent des nids de bulles et protègent les larves jusqu’à mi-janvier, lorsque les premières pluies saisonnières inondent l’aire de reproduction, provoquant la dispersion des jeunes atteignant alors 10 cm. Le ratio mâle/ femelles est de 3/1. Il y a trois lots successifs d’œufs déposés dans une période de frai. Il peut y avoir jusqu’à 3 pontes par saison des pluies, mais cela dépend des zones inondables appropriées. En outre, ces espèces sont microphthalmiques, même votre ombre ne pourra les alerter leur permettant ainsi de fuir d’où cette défense de choc.

Malapterurus electricusMalapterurus
Dans un passé pas trop lointain, le genre Malapterurus ne comptait encore que 3 espèces M. electricus de l’Afrique de l’Ouest et du Nil, M.microstoma du bassin du Congo et M.minjiriya du lac Kainji, au Nigeria. Suite aux travaux de Steven Norris en 2002, le genre compte actuellement 18 espèces valides.
M. beninensis ; M. barbatus ; M. cavalliensis ; M. electricus ; M. leonensis ; M. melanochir ; M. microstoma ; M. minjiriya ; M. monsembeensis ; M. occidentalis ; M. oguensis ; M. punctatus ; M. shirensis ; M. stiassnyae ; M. tanganyikaensis ; M. tanoensis ; M. teugelsi ; M. thysi.

Ces espèces sont de taille maximale inférieure à celle de l’anguille électrique et atteignent une longueur de 120 cm pour un poids de 12 kg. Vendu à une taille de 10 cm, leur Malapterurus electricus2décharge de défense ou d’attaque ressemble à un picotement un peu comme si vous mettiez la langue aux deux pôles d’une pile de 9V., mais les spécimens adultes peuvent émettre une décharge de 350 V. Ce sont des poissons très redoutés en Afrique par les pêcheurs : le poisson est immédiatement tué dans la barque avec un gourdin. Même si le potentiel de dangerosité est légèrement inférieur pour un homme valide et en bonne santé, ces espèces représentent un danger réel pour des personnes aux insuffisances cardiaques avérées et à toutes autres personnes appareillées d’un dispositif électrique ou électronique.

Le danger
J’ai eu personnellement une décharge dans un arroyo peu profond, large d’un mètre dans les Llanos de Colombie près de Puerto Gaitan. Je pêchais à l’épuisette lorsque quelque chose m’a frôlé sous l’eau, au niveau des cuisses. Je pensais immédiatement à un anaconda, après quelques secondes d’hésitation, je décidais de plonger les mains et les bras sous l’eau, et, sans avoir touché quoi que ce soit, je pris une décharge qui me secoua. Je ne sentais plus mes bras. Cela a duré 30 secondes jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur sensibilité, mais un fourmillement persista durant 2-3 minutes. Cela ne pouvait être qu’une anguille électrique. Je ne l’ai pas vu … mais sentie. L’eau était trop boueuse et de couleur brune. C’était certainement une décharge défensive. Comme je n’avais pas touché l’anguille avec les mains, je devais être relativement près d’elle. Alertée par son champ d’électrolocation elle a déclenché la décharge.

J’ai retrouvé cette espèce dans des aquariums publics, mais aussi, et c’est plus surprenant, sur la liste des poissons des grossistes européens. Certes, ces anguilles électriques sont vendues (très cher) à une taille comprise entre 50 et 80 cm, mais le choc électrique est déjà assez puissant.

Cette espèce est un danger réel pour les personnes cardiaques ou appareillées.
Ce danger devient d’autant plus réel que le monde médical utilise de plus en plus de matériels électroniques (stimulateurs, pompes implantées, EPROM (Erasable Programmable Read-Only Memory) ou mémoire morte à reprogrammation, nanotechnologie…).
Rien que pour les stimulateurs cardiaques, les recommandations sont nombreuses alors que les boîtiers sont déjà réalisés avec une certaine protection.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande les précautions suivantes :
• Téléphone mobile : ne pas le porter près du boîtier DMIA ;
• Portiques antivols des magasins : ne pas rester entre les portiques, les franchir sans hâte ;
• Plaque à induction : ne pas se pencher au-dessus, bien recouvrir la plaque avec l’ustensile ;
• Portique dans les aéroports : franchir le portique normalement et prévenir le personnel de sécurité que le dispositif peut donner l’alerte.
• S’assurer avant de toucher un appareil électrique sur le secteur, que celui-ci soit mis à la terre ;
• Ne pas stationner près d’un moteur thermique en fonctionnement ;
• Ne pas utiliser les appareils de soudure à l’arc ;
• Éviter la proximité des lignes à haute tension, transformateurs électriques, radars ou émetteurs à forte puissance (notamment dans les ports où certains bateaux utilisent des « tontons » soit des amplificateurs d’émission qui grillent même les cartes mères électroniques des voitures).

Conclusions
Un contact direct avec un voltage de 500 V. émis par une anguille électrique ou 350 V émis par un silure électrique peut être fatal aux porteurs d’un dispositif médical nécessitant une neutralité électrique et/ou magnétique dans son environnement.
L’ANSM n’a pas prévu le cas de l’aquariophile appareillé pouvant être confronté à ces espèces (quel que soit son dispositif).

La Fédération Française d'Aquariophilie non seulement met en garde contre ces risques, mais va adresser un courrier :
   * au ministère de l'écologie lui demandant que ces espèces soient placées dans l’annexe (espèces dangereuses) de l’arrêté du 21 novembre 1997 définissant deux catégories d'établissements, autres que les établissements d'élevage, de vente et de transit des espèces de gibier dont la chasse est autorisée, détenant des animaux d'espèces non domestiques (NOR: ATEN9870000A ) ;
   * au ministère de la santé pour que ces risques soient pris en compte dans les recommandations de l'ANSM.


Un grand hommage à André Florion qui s'est passionné toute sa vie pour les poissons électriques.

Texte et photos : Robert Allgayer


Bibliographie :

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Assuncao, M.I. da Silva and H.O. Schwassmann, 1995. Reproduction and larval development of Electrophorus electricus on Marajo Island (Para, Brazil). Ichthyol. Explor. Freshwat. 6 (2) :175-184.
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LondonNorris, S. M. 2002 A revision of the African electric catfishes, family Malapteruridae (Teleostei, Siluriformes), with erection of a new genus and descriptions of fourteen new species, and an annotated
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Plaquette, P., P. Keith and P.-Y. Le Bail, 1996. Atlas des poissons d'eau douce de Guyane. Tome 1. Collection du Patrimoine Naturel Volume 22, MNHN, Paris & INRA, Paris. 429 p.
ANSM : https://www.ansm.sante.fr/Dossiers/Dispositifs-medicaux-implantables-actifs-DMIA-utilises-en-cardiologie/Vivre-avec-un-DMIA-de-cardiologie-Contacts-utiles/(offset)/4