logo ecologieLettre ouverte à Madame la Ministre de l'écologie
Suite aux nombreux problèmes touchant actuellement l'aquariophilie et notamment la condamnation injustifiée d'un aquariophile récifal, éleveur d'agrément, la FFA interpelle Madame Ségolène Royal, Ministre de l'écologie et du développement durable.

 


Madame la Ministre

Un aquariophile de Loire-Atlantique, M. R., a fait l'objet, il y a quelques semaines, d'une composition pénale suite à la constatation, par les agents de l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, des faits suivants : Offre, cession sans autorisation d'animal d'espèce non domestique et de ses produits faisant l'objet d'une attention particulière.

Il s'agissait en l'occurrence de quelques boutures coralliennes d'espèces classées dans l'annexe B du règlement (CE) N° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 modifié par le règlement (UE) n° 750/2013 de la Commission du 29 juillet 2013 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce.

Il semblerait que l'intervention des agents de l'ONCFS soit consécutive à une dénonciation par un syndicat de commerçants animaliers. C'est du moins ce qui ressort des propos tenus par les services du Procureur de la République de Nantes.
L'énoncé des faits mentionne donc une autorisation dont nous ne parvenons pas à déterminer l'origine légale.

Selon les termes de l'arrêté du 10 août 2004 fixant les règles de fonctionnement des installations d'élevage d'agrément d'animaux d'espèces non domestiques, Monsieur R. pratique un élevage d'agrément. En effet, la reproduction de ses coraux revêt un caractère marginal au sein de son élevage puisque les animaux qu'il détient le sont principalement à titre d'agrément et que seuls les animaux issus de la reproduction qui ne peuvent être conservés font l'objet d'une cession.
Par ailleurs, Monsieur R. ne détient aucune des espèces mentionnées à l'annexe 2 de l'arrêté du 10 août 2004 fixant les conditions d'autorisation de détention d'animaux de certaines espèces non domestiques dans les établissements d'élevage, de vente, de location, de transit ou de présentation au public d'animaux d'espèces non domestiques.
Une simple visite chez Monsieur R. aurait d'ailleurs permis de vérifier que son élevage ne peut être considéré comme « établissement d'élevage d'animaux non domestiques », selon l'article 1 de l'arrêté fixant les règles de fonctionnement ... sus cité, puisqu'il ne met absolument pas en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir une reproduction abondante de façon à commercialiser les spécimens issus de cette reproduction.
Or les élevages d'agrément ne sont assujettis à aucune des autorisations prévues par les articles L.413-2 (certificat de capacité) et L.413-3 (autorisation d'ouverture) du Code de l'environnement.
L'article 3 de l'arrêté du 10 août 2004 (règles générales de fonctionnement ...) mentionne bien une autorisation mais elle n'est nécessaire que pour les espèces mentionnées à l'annexe 1 du dit arrêté où ne figure aucun scléractiniaire.

De ce fait, nous vous saurions gré de bien vouloir nous préciser l'autorisation qui était nécessaire à Monsieur R. et quels sont les textes législatifs qui justifient l'obtention de cette autorisation.

Cette même question a été posée le 23 mars à l'ONCFS de Loire-Atlantique.
En l'absence de réponse à ce jour, nous nous sommes vus dans l'obligation d'intervenir, par courrier recommandé, auprès du Directeur général du dit Office afin qu'une réponse satisfaisante et officielle nous soit donnée.
Intervenant sur dénonciation, les agents de l'ONCFS n'ont, semble-t-il, pas fait la différence entre « élevage d'agrément » et « établissement d'élevage. Le Procureur de la République s'est ensuite fié au constat de ce service sensé connaître la législation de sa sphère de compétence.

Les faits reprochés à M. R. nous semblent suffisamment injustifiés au regard de la législation pour que nous jugions nécessaire de vous en tenir informé.
Afin que de tels faits ne se renouvellent pas à l'avenir, il nous semble très important d'obtenir une réponse précise de vos services, réponse qui pourra être, à l'avenir, opposée à tous les services de l'État si le besoin venait à s'en faire sentir.


Concernant les numéros CITES :
Cette malheureuse affaire nous amène à préciser la position de notre Fédération quant aux problèmes posés par les scléractiniaires détenus et élevés par les aquariophiles amateurs.

La protection des coraux en milieu naturel est une priorité qui n'est pas niée mais, bien au contraire, encouragée par les aquariophiles. Le contrôle à l'exportation et à l'importation est donc tout à fait justifié.
Mais à l'époque ou le législateur s'est penché sur la réglementation internationale, il ne pouvait penser, pas plus que les aquariophiles d'ailleurs, que l'évolution des connaissances tant techniques que biologiques, permettrait de maîtriser la reproduction végétative de très nombreuses espèces coralliennes dont les scléractiniaires (coraux durs) inscrits sur l'annexe B du règlement (CE) n° 338/97.
Aujourd'hui, les scléractiniaires se reproduisent à grande échelle dans les aquariums d'amateurs avec, comme conséquence, une surpopulation dangereuse pour l'équilibre biologique de ces derniers.
En effet, placé dans des conditions optimales, le moindre éclat, le moindre fragment de branche est en mesure de croître extrêmement rapidement et de façon exponentielle.
L'éleveur amateur doit donc un jour ou l'autre se séparer de ses animaux en surplus afin de ne pas perturber l'équilibre biologique de son aquarium
Doit-il les jeter purement et simplement ? C'est déontologiquement impossible et de toute façon formellement interdit par la législation.
Les aquariophiles préfèrent donc les donner, les échanger voire les vendre, dans le cadre légal de l'élevage d'agrément (réponse des services du ministère de l'écologie par courrier daté du 29 mars 2007 à une question posée par notre fédération).
Par voie de conséquence, un corail importé il y a plusieurs années a pu être bouturé des dizaines de fois donnant autant de pieds-mères qui ont été eux-mêmes bouturés etc etc.
Il est à noter que la reproduction du corail par les éleveurs de loisir limite notablement les importations donc les prélèvements en milieux naturels et participe ainsi à la réduction du déficit de notre balance commerciale.

A ce stade, il est logique de se poser la question : y a-t-il encore un sens à vouloir identifier tous les rejetons du pied-mère à l'aide du numéro CITES délivré lors de son importation ?

D'autant plus que lors de leur entrée sur le territoire de l'Union européenne, ces numéros d'identification sont attribués par lots pouvant compter plusieurs dizaines de conteneurs totalisant plusieurs centaines voire milliers de pieds coralliens qui, précisons-le, sont de plus en plus souvent originaires de fermes d'élevage.
La quantité de boutures échangées entre particuliers, après grossissement des pieds-mères, augmente de manière exponentielle, les boutures devenant, après grossissement, elles même bouturables.
Il s'avère donc qu'au bout de quelques mois, ce sont des milliers de scléractiniaires qui sont titulaires du même numéro CITES. Aucun contrôle ne peut alors être fiable puisque la relation entre l'animal et son pied-mère est totalement diluée.

Outre-mer, la France possède huit départements ou territoires abritant des récifs coralliens. Tous ces récifs ont, ces dernières années, soufferts des effets de la pollution ou de l'augmentation du taux de gaz carbonique entrainant une acidification des océans. Les scientifiques sont unanimes : tous les récifs sont plus ou moins en mauvaise santé. Tous sont menacés, certains ont pratiquement disparus.
Or les éleveurs d'agrément récifaux maintiennent, dans des conditions optimales, des dizaines d'espèces aujourd'hui considérées en danger. Ces « récifs captifs » sont dans un état de santé tel qu'ils évoluent inéluctablement, constituant ainsi un « réservoir » qui pourrait éventuellement être utilisé à des fins de repeuplement.

Il est à noter que l'éloignement des zones coralliennes rend les habitants de la métropole peu soucieux des problèmes locaux. La présentation d'aquariums récifaux, véritables outils de sensibilisation, permet de faire prendre conscience des problèmes environnementaux de plus en plus cruciaux.
Encore faut-il que les aquariophiles, éleveurs d'agrément, puissent le faire en toute quiétude.
Cette sensibilisation à la nature aquatique est d'ailleurs valable pour l'aquariophilie dans son intégralité, tant en eau douce qu'en eau de mer.

Concernant la délivrance des numéros de CITES :
De nombreux éleveurs nous ont indiqué que certains commerçants refusaient encore et toujours de communiquer les numéros CITES lors de la vente d'espèces inscrites à l'annexe B cité ci-dessus.
Nous avons d'ailleurs déjà attiré l'attention de vos services sur ce point.
Pourtant, théoriquement titulaire d'un certificat de capacité, ces commerçants devraient connaître la législation. Faisant preuve, pour certains, d'une totale incompétence voire de mauvaise foi, ils manquent totalement à leur devoir de conseil (et nous ne parlerons pas de déontologie !) mettant ainsi « hors la loi », des amateurs qui leur font totale confiance. Ils n'hésitent pourtant pas ensuite à dénoncer les éleveurs d'agrément aux services de l'État. L'affaire concernant M. R., décrite au début de ce courrier, en étant la preuve.
Notre Fédération conseille d'ailleurs à ses adhérents de « fuir » tout commerce qui refuse la délivrance de ce numéro d'identification.

Aujourd'hui, des milliers d'éleveurs d'agrément passionnés par les scléractiniaires, et pourtant de bonne foi, sont donc dans l'illégalité la plus totale soit parce qu'on leur a refusé la délivrance d'un numéro CITES lors de l'achat d'animaux soit parce que ce numéro s'est perdu au fil des échanges et cessions de boutures depuis plusieurs années.
Il en est de même pour les possesseurs de squelettes de scléractiniaires morts qui ont été acquis avant la mise en place du règlement (CE) 338/97. Leur commercialisation antérieure à cette date n'était soumise à aucun contrôle et, aujourd'hui encore, des aquariophiles en possèdent, s'en servant notamment comme décoration pour des aquariums marins. Bien entendu, depuis le temps, les factures ont disparu.
Ils sont, de fait, également hors la loi !

Il y a environ un an, nous avions fait des propositions à vos services, notamment la réalisation d'un inventaire permettant une régularisation. Malheureusement, nous avions reçu une fin de non-recevoir et aucune solution n'a été apportée à ce jour.

Il est donc indispensable de trouver rapidement une issue permettant aux amateurs, mal conseillés ou induit en erreur par certains professionnels, de revenir dans le cadre de la loi.

Concernant la possession d'un certificat de capacité :
Il nous a été rapporté que, dans certains départements, les DDPP exigeaient que les éleveurs d'agrément proposant des boutures coralliennes de leur élevage, lors de bourses d'échanges, soient titulaires d'un certificat de capacité. Cette exigence est une violation flagrante de l'arrêté du 10 août 2004 fixant les règles de fonctionnement des installations d'élevage d'animaux d'espèces non domestiques. Il est regrettable, et inquiétant, que des services déconcentrés de l'État n'aient pas une connaissance plus approfondie de la législation en vigueur ou l'appliquent à leur convenance. Cette dérive est inadmissible.

Pour terminer, nous attirons votre attention sur le fait que l'élevage des coraux par les éleveurs d'agrément :
* réduit la pression sur les populations de scléractiniaires « sauvages » ;
* diminue l'impact carbone en supprimant le transport aérien ;
* contribue à ne pas augmenter le déficit commercial extérieur ;
* diminue le coût d'un loisir éducatif et scientifique ;
* Participe à la prise de conscience de la nécessité impérative d'agir pour sauvegarder les biotopes naturels, en l'occurrence les récifs coralliens.

Pour résumer et conclure ce courrier, nous espérons donc obtenir une réponse précise aux questions suivantes :

1/ En application du règlement (CE) N° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 modifié par le règlement (UE) n° 750/2013 de la Commission du 29 juillet 2013, quelle est l'autorisation dont doit être titulaire un éleveur d'agrément, au sens de l'arrêté du 10 août 2004 et dont l'absence est reprochée à Monsieur R. ?

2/ La reproduction à « grande échelle » des Scléractiniaires par les éleveurs d'agrément rend totalement caduque l'attribution d'un numéro d'identification CITES pour de nombreuses espèces coralliennes.
Quelle solution peut être envisagée ?
Nous suggérons une intervention au niveau de l'Union Européenne afin de faire reconnaître le travail des éleveurs d'agrément et faire en sorte que les scléractiniaires élevés et reproduits en captivité bénéficient d'une réglementation spécifique.

3/ Trop de commerçants refusent ou omettent toujours la remise des numéros d'identification CITES. Nous considérons qu'il s'agit d'une faute grave de la part de professionnels sensés connaître la législation en vigueur.
a/ Qu'envisagent les services de l'État pour qu'un rappel à la loi soit effectué auprès de ces professionnels ?
b/ Quelle solution peut être envisagée pour que les éleveurs d'agrément se trouvant de fait « hors la loi », tout en étant de bonne foi, puissent régulariser rapidement leur situation ?

4/ Qu'envisagent les services de l'État en ce qui concerne les possesseurs de squelettes de coraux acquis avant la promulgation du règlement (CE) n° 338/07 et qui ne sont plus en possession des factures ?

5/ Qu'envisage l'administration pour que ses services déconcentrés, ONCFS, DDPP etc., appliquent la législation « dans le texte » et non en l'interprétant à leur convenance ?

La Fédération Française d'aquariophile est bien entendu prête à travailler avec les services de votre ministère afin de trouver une solution concertée aux problèmes exposés ci-dessus qui, si rien n'est fait, iront inévitablement en s'accentuant.

Nous vous suggérons donc une rencontre, sous l'égide de votre ministère, entre toutes les parties impliquées : Fédération Française d'Aquariophilie, associations spécialisées dans l'aquariophilie récifale, professionnels, services de l'État ...

Espérant avoir retenu votre attention, en l'attente de votre réponse et restant à votre entière disposition ;

Nous vous prions d'agréer, Madame la Ministre, ...